Les présentes pages ont pour but de faire partager ma passion pour l'aviation et de présenter mes livres.

Ejection à Creil

 
Merci à Jean-Marie Abellan

 

 
   Lundi 11 septembre 1978, 16h30. Temps clair, ciel bleu, train sorti sur le Mirage IIIC 60 RL, pépère en vent arrière j’attends le moment de partir en dernier virage, quand tout à coup je ressens une nette perte de poussée. Réflexe, je rentre le train, je mets pleins pots : poussée toujours limitée. Pensant à une panne d’huile, j’enclenche la CVE (vérin électrique permettant de retrouver un peu de pilotage de la manette des gaz, inopérante encas de panne d’huile). C’est pire : l’action entraîne l’ouverture complète de la tuyère, ce qui est normal, mais dégrade encore plus la puissance moteur. Du coup, je coupe la CVE, et me jette sans attendre en dernier virage : je ne suis pas assez haut pour un circuit ACONTUCOU (atterrissage turbine coupée), mais l’avion est en configuration lisse, ni bidons ni armement sous les ailes, et il reste de la poussée, ça devrait le faire.
En fin de dernier virage, je ressors le train. Et face à la piste je prends conscience que ça va merder : 25 nœuds de vent de face m’ont éloigné de la piste et ont allongé ma trajectoire, la vitesse chute, moins de 180 nœuds, les Vasis virent au rouge (feux de la rampe d’approche matérialisant la pente idéale de descente : évidemment, ce n’est pas le rouge…), je m’éjecte !
Là, plutôt que le coup de pied au cul attendu, j’ai la sensation qu’on me tire par les bretelles vers le haut et vers l’avant. On dit que dans ces moments-là on voit sa vie défiler : perso, je me sens envahi par un grand calme, un sentiment de fatalité, je me dis « t’es trop nul, tu t’es éjecté trop tard, en plus avec la poignée haute, ça va jamais passer… ». Mais même pas le temps d’avoir peur : ça se précipite, le rideau d’éjection tombe de devant mes yeux, et je vois les arbres monter vers moi à toute vitesse. Secousses, glissades, chocs, vibrations, un choc plus violent, puis le silence : je suis au sol, apparemment indemne. 6 secondes se sont écoulées depuis ma mise en œuvre du siège éjectable Martin Baker…
Je veux me relever, court moment de panique : je n’arrive pas à bouger, je dois être paralysé, j’ai dû me péter la colonne ou un truc comme ça. Mais non, idiot, t’es encore sanglé à ton parachute ! l’avion a rebondi sur le haut de la colline, est passé au-dessus de moi, et a fait tomber un pylône de la rampe d’approche, qui bloque ma voilure.
Je me détache, je sors des arbres et passe devant les restes de mon avion, à 20 mètres de mon point de chute. Arrivé sur la route juste à côté, je suis ramassé par un véhicule de la gendarmerie de l’air qui patrouillait justement dans le secteur. Direction la Base, inspection par le médecin, et évacuation sur un civière en ambulance vers l’Hôpital Dominique Larey à Versailles. Bilan, des contusions un peu partout, et de gros hématomes sur les cuisses, conséquence de ma chute à travers les arbres. Rien de grave, donc.
Cet incident appelle deux remarques :
1/ Dit comme ça, je donne l'impression d’avoir tout maîtrisé. En réalité, quand j'ai raconté mon vécu à l'officier enquêteur, je pensais qu'isolé du reste du monde, dans ma bulle, j'avais tout fait de manière désordonnée, dans l'affolement. Je croyais même avoir oublié de ressortir le train en dernier virage. Il m'a appris qu'au contraire, j'avais jusqu'au bout maintenu le contact radio, expliquant mes actions, jusqu’à l’éjection. En fait, notre formation fait que l'application de la procédure par notre cerveau reptilien prend le pas sur l'émotion, du coup on fait ce qu'il faut de manière quasi automatique.
2/ en passant devant les restes de mon avion, tombé à moins de 500 mètres de la piste, je me suis dit « zut, j'y étais presque". J'aurais évidemment dû me dire que j'avais eu chaud. Deux raisons expliquent ce raisonnement biaisé, qui n'est pas dû au fait que nous sommes des super héros : on fait corps avec notre machine, on est bien dedans, on n'imagine pas qu'elle peut nous trahir. Par ailleurs, notre entraînement nous pousse à vouloir réussir notre mission, coûte que coûte. Ceci explique, selon moi, que certains puissent aller trop loin et n'en pas revenir. D'ailleurs, aujourd'hui encore, je ressens une pointe de culpabilité, et je me dis toujours que j'aurais pu mieux me démerder pour ramener la bête.
Épilogues
Quand mes camarades ont appris que j'étais indemne, ils ont copieusement fêté ça au bar.
Le jeudi, trois jours après mon éjection, le médecin lors de sa visite quotidienne m'a dit que je pourrais sortir le samedi. Le jour dit, peu au fait des procédures administratives, j'ai pris ma valise, mes béquilles, le train et le RER direction Creil. Là, j'ai pris mon épouse et ma voiture pour quelques jours de repos au Mans. En revenant Le vendredi d'après, je suis passé faire coucou à l'escadron (EC 2/10 Seine). Le Chef m'a alors appris qu'il était temps que je me montre : l'hôpital m’avait signalé absent sans motif, j'étais sur le point d'être déclaré déserteur, la police allait partir à ma recherche !
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À propos
Richard FEESER

Bien découplé et passionné d'aviation
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