Voici un excellent article publié dans le Monde par l'un de mes anciens chefs dont je partage totalement le point de
vue.
Personne ne peut être indifférent au drame qui se déroule en Syrie. Aussi, en raison de l'exemple libyen, de nombreuses voix s'élèvent
pour demander une intervention militaire. Certains réclament la mise en oeuvre de toutes les mesures nécessaires, comme cela avait été demandé par le Conseil de
sécurité de l'ONU, en 1990, pour libérer le Koweït ou, en 2011, pour protéger les populations que Mouammar Kadhafi voulait massacrer.
Mais, pour que l'aviation puisse détruire les chars ou les pièces d'artillerie menaçant les civils, il faut qu'elle ait au préalable la
maîtrise du ciel, c'est-à-dire mis hors de combat batteries sol-air et chasseurs ennemis.
Dans le cas libyen, ce n'était pas trop difficile car la force aérienne du dictateur était peu opérationnelle et ses moyens terrestres
de défense contre les avions ont été rapidement détruits.
Pour la Syrie, la chanson n'est pas la même. Son armée de l'air totalise environ 500 avions de combat, soit deux fois plus que la nôtre
; bien qu'une partie d'entre eux seulement soit moderne, leur nombre et la qualité d'un entraînement conduit en vue d'une guerre éventuelle avec Israël en font un
adversaire sérieux. Nous ne sommes pas de taille à l'affronter.
En juin, quand les Turcs ont voulu tester la défense aérienne syrienne (pour tout expert en la matière, c'est une évidence à l'examen
des trajectoires publiées), la réaction ne s'est pas fait attendre et l'appareil a été abattu. Pour venir à bout aujourd'hui de l'aviation de Bachar Al-Assad, il
faudrait employer toute la machine de guerre américaine et utiliser les aéroports de Grèce et de Chypre, voire du Moyen-Orient. Pour la Libye, c'est notre armée de
l'air seule qui a conduit le premier raid de libération de Benghazi. Si l'aide américaine a été indispensable pour la poursuite de la guerre, nous n'en avons pas moins
effectué près du quart des missions de protection de la population menacée par Kadhafi, nous plaçant ainsi au premier rang de la coalition.
Face à la Syrie, nous ne serions qu'une petite force d'appoint placée sous les ordres de Washington ; ce ne serait pas très
glorieux.
Quant à la zone d'exclusion aérienne réclamée par d'autres, elle pose exactement le même problème car pour détruire les appareils de
Damas en vol, il faut une maîtrise du ciel encore plus parfaite !
Il m'a paru étonnant que ce point de vue n'ait pas été davantage émis. Mais il y a à cela une bonne raison : ce serait reconnaître la
faiblesse de notre aviation militaire. Lors de la première guerre du Golfe en 1991, l'armée de l'air française disposait de 450 avions de combat auxquels s'ajoutaient
32 Mirage IV de la force aérienne stratégique.
Le Livre blanc en vigueur ramène ces moyens à 230 Mirage 2000 ou Rafale dont les vecteurs nucléaires. La déflation de l'aéronautique
navale a été similaire.
Les budgets militaires de la France sont ainsi passés en vingt ans de 3 % du PIB à 1,5 % ; ils ont été chaque année la variable
d'ajustement des finances publiques, avec la promesse de jours meilleurs prochains... lesquels ne sont toujours pas là. Mais il est impossible aujourd'hui aux pouvoirs
publics de proclamer cette faiblesse : la conclusion serait immédiate, le budget de la défense deviendrait prioritaire ce qui serait contradictoire avec les
engagements du président de la République. Alors, finalement, le " niet " de Vladimir Poutine est bien pratique : il évite de poser les vraies
questions.
Jean Fleury
Général, ancien chef d'état-major
de l'armée de l'air française, auteur
de " Crise libyenne : la nouvelle donne " (Jean Picollec, 198 p., 18,55 €)